Baccalauréat

de Cristian Mungiu



Roumanie-France-Belgique, 2016, 2h08, VOSTF
avec Adrian Titieni, Maria Drăguș, Lia Bugnar

Baccalauréat
Romeo, médecin dans une petite ville de Transylvanie, a tout mis en œuvre pour que sa fille, Eliza, soit acceptée dans une université anglaise. Il ne reste plus à la jeune fille, très bonne élève, qu’une formalité qui ne devrait pas poser de problème : obtenir son baccalauréat. Mais Eliza se fait agresser et le précieux Sésame semble brutalement hors de portée. Avec lui, c’est toute la vie de Romeo qui est remise en question quand il oublie alors tous les principes qu’il a inculqués à sa fille, entre compromis et compromissions…
 
- Baccalauréat est-il une critique de la Roumanie ?
Oui, mais j’espère aussi qu’il est universel. La corruption ou la malhonnêteté existent partout. Je crois que les solutions ne peuvent être que collectives. L’accumulation de solutions individualistes ne résoudra rien. En Roumanie, tout le monde essaye de s’en sortir par le système D individuel, ou par l’émigration. Ces solutions individuelles vont-elles sauver notre société ? Non. Comment croire qu’on va changer un pays en poussant les jeunes à émigrer ?

- Pourquoi Roméo semble-t-il renoncer à changer le pays et fait-il un constat d’échec de sa vie alors qu’il a réussi à devenir médecin ?
C’est le problème de notre génération. On a certes changé des choses avec la chute de Ceaucescu, ce qui n’est pas rien, mais le nouvel ordre n’est pas aussi beau que ce qu’on idéalisait. On sait pertinemment qu’une société éthique et équitable n’émergera pas de notre vivant. Alors que dit-on à nos enfants, que leur transmet-on ? Essayer de se battre pour un monde plus juste ou partir dans un pays où il y a moins de problèmes ? Je n’ai pas la réponse définitive à cette question. En attendant, je vois en Roumanie beaucoup de gens déçus, frustrés, déprimés ou en colère.

- Roméo fait des choses peu recommandables pour le bien de sa fille. On sent que vous aimez les personnages non manichéens.
Roméo symbolise ma conception du cinéma. Je ne veux surtout pas dire en filmant, tel personnage est ceci ou cela, héroïque ou condamnable, je ne veux pas les juger, je tiens à leur complexité. D’abord parce que cette ambiguité, cette incertitude font partie de la réalité. D’autre part, j’aime que le spectateur garde toute sa liberté de lecture et de jugement, je ne veux pas lui dire ce qu’il faut penser des personnages. Le cinéma mainstream simplifie trop les choses en dessinant des personnages héroïques ou mauvais, ou en justifiant les mauvaises actions de tel personnage par des explications sommaires du type “il a beaucoup souffert dans son enfance”. Même si un film ne dure que deux heures, il faut tenter d’y restituer la complexité de la vie. Le cinéma mainstream aime aussi les fins heureuses, les histoires bien bouclées. Moi non ! J’aime les fins ouvertes parce que dans la vie, tout est toujours ouvert, il n’y a jamais de questions définitivement résolues pour toujours. Pour en revenir à Roméo, il agit pour sa fille, oui, mais aussi par égoïsme, parce qu’il projette sur sa fille des rêves qu’il n’a pas réalisé lui-même. Or, il vaut peut-être mieux écouter ses enfants pour savoir quels sont leurs rêves, leurs besoins. Tout parent souhaite le meilleur pour ses enfants mais à un moment, ils sont grands et il faut aussi savoir respecter leur liberté.


- Baccalauréat traite de questions importantes tout en restant haletant comme un polar. Est-ce important pour toi de toujours trouver une forme, un registre fictionnel pour faire passer un propos plus sérieux ?
Bien sûr, je recherche toujours ces deux niveaux dans un film. Il faut à la fois embarquer le spectateur et le pousser à se questionner. En même temps, j’ai le sentiment de ne pas mâcher le travail du spectateur en ayant beaucoup recours au plan-séquence et en ne donnant pas toutes les réponses aux questions que je soulève. Quand on fait du plan-séquence, on se demande souvent si le film sera assez rythmé, si le spectateur ne risque pas de s’ennuyer. Dans mes films, j’essaye toujours de filmer des situations très prosaïques et en même temps l’intériorité des personnages, leur angoisse, choses plus difficiles à représenter. L’idée est que le spectateur ressente le film non seulement à un niveau intellectuel, mais aussi à un niveau sensible, émotionnel.

Entretien avec Serge Kaganski, Les Inrocks