Comrades

de Bill Douglas



Grande-Bretagne, 1987, 3h02, VOSTF
avec Robin Soans, Imelda Staunton
 

Comrades
Ce film est programmé dans le cadre du cycle des Grands Classiques 2019-2020 :
Images du collectif : survie, lutte et solidarité (livret PDF)

Dans les années 1830, des laboureurs du Dorset, lassés d’être sous-payés par le propriétaire qui les exploite, fondent une société d’entraide pour se défendre. Cette solidarité n’est pas du goût de tous et ils sont condamnés à sept années de déportation en Australie.
Le film s’ouvre comme il se ferme : sur un cercle blanc représentant à la fois le soleil et la lumière du projecteur. Mêlant l’histoire des martyrs de Tolpuddle à celle du précinéma, le cinéaste confie le rôle du narrateur à un lanterniste, sorte de colporteur de divertissements optiques. Bill Douglas n’a découvert cette histoire qu’en 1979 et, voulant la partager avec le plus grand nombre, s’en est saisi pour développer un scénario… Et puisqu’elle était peu connue, il jouirait d’une grande liberté pour l’adapter. Sans recours à la voix-off, le lanterniste apparaît ainsi à l’intérieur du film et se démultiplie ingénieusement en douze avatars (tous interprétés par Alex Norton) qui, de façon évidente ou plus furtivement, présentent une machine optique et font avancer l’intrigue.

Les références au précinéma pour lequel se passionnait Bill Douglas sont aléatoires et même parfois légèrement anachroniques, mais c’est la magie qui prime, transportant les spectateurs de diorama (peinture ou maquette travaillant la profondeur) en ombres chinoises et autre thaumatrope. Ce dernier est un jouet optique qui fonctionne grâce au phénomène de la persistance rétinienne. Dans Comrades, un disque représente d’un côté un oiseau de l’autre une cage ; mis en mouvement on ne voit plus que l’oiseau dans la cage. Collectionneur d’objets précinématographiques depuis des années, Douglas mûrissait le projet de les utiliser pour un film. Le fonds du Bill Douglas Museum rattaché à l’université d’Exeter rassemble 75 000 pièces.

Le réalisateur écossais a été découvert en France en 2013 grâce à sa magnifique trilogie, des films courts sur son enfance puis sa jeunesse : My Childhood (Lion d’or à Venise en 1972), My Ain Folk (1973), My Way Home (1978). En diffusant Comrades l’année suivante sur les écrans et en DVD, le distributeur UFO mène à terme cette entreprise de restauration, car hélas pour les spectateurs la filmo-graphie de Bill Douglas ne compte que quatre films. À sa mort en 1991, il laisse deux scénarios achevés en attente de production. Pourtant, son œuvre, si concentrée soit-elle, révèle un prodigieux talent de cinéaste, un style épuré, un sens du récit cinématographique…

Bill Douglas conçoit l’écriture comme un geste dialectique d’empathie et de mise à distance, il cite volontiers Tchekov qui disait ne pouvoir écrire qu’à partir de son souvenir et jamais directement de la vie elle-même. Pour Comrades il se glissera dans la peau de George Loveless, le "leader" du groupe qu’il ne voyait pas comme un rebelle mais plutôt comme un homme de bonté presque saint. Et c’est ainsi qu’il écrit une "épopée d’hommes pauvres", focalisant le récit sur des hommes et des femmes modestes, leur vie et leurs relations de solidarité au quotidien. Le réalisateur préfère la justesse des émotions à l’exposé factuel et documenté, livrant un récit fragmentaire que le spectateur complètera. C’est ce qu’il fait par exemple dans la séquence d’arrestation des six hommes lorsque James Hamett prend la place de son frère John pour que ce dernier puisse rester auprès de son bébé nouveau né. Un regard, un geste, tout est conté.

Les regards puissants et expressifs des personnages,posés à l’écran juste le temps qu’on en perçoive la profondeur, confirment ce qui a guidé le cinéaste dans son casting. Impossible alors pour Bill Douglas de confier les rôles principaux à des comédiens célèbres, les spectateurs n’auraient vu que les vedettes et non ces inconnus qu’ils devaient incarner. Poursuivant cette logique, les aristocrates du cinéma comme Vanessa Redgrave (Mrs Carlysle) et James Fox (Norfolk) qui sont à l’affiche interpréteront les aristocrates de l’histoire. Ces deux là apparaissent assez brièvement dans la seconde partie du film tournée en Australie, où les six compagnons sont déportés en toute légalité, tant leur Société Amicale des Laboureurs, forme primitive de syndicats, indispose les puissants. Bill Douglas a l’art de capter les visages mais il aime aussi tourneren décor naturel et sait placer sa caméra dans un paysage. En Angleterre ou sous le soleil de l’hémisphère sud, il filme toutes les saisons, tous les climats, et ponctue son film de plans contrastés aux couleurs lumineuses et franches évoquant les tableaux préraphaélites.

Huit ans se seront écoulés entre le début d’écriture d’un scénario remanié de nombreuses fois et la sortie en salles en 1987. Mais Douglas a tenu bon malgré les difficultés de production, les faux départs, les mauvais tours de la météo… livrant un film magnifique et touchant qui reste longtemps dans la mémoire du spectateur, comme l’aspiration atemporelle et universelle répétée par George Loveless "We will, we will, we will be free". À sa sortie on peut imaginer que les trois heures que dure le film n’ont pas plaidé pour une large diffusion. Il ne faudrait cependant pas sous-estimer la puissance politique de cette ode à la solidarité dans un Royaume-Uni plombé par l’ère Thatcher. Peu enclin à développer l’histoire sous l’angle des martyrs, Bill Douglas s’est employé à montrer la force de ces hommes, de leurs familles et de l’extraordinaire soutien grâce auquel ils seront libérés et rapatriés en Angleterre trois ans après leur condamnation, sans achever leur injuste peine. Un peu d’espoir pour les jours sombres…

Extrait du livret d"accompagnement 2019/2020 (Céline Soulodre, Guy Fillion)



Séances