Les Camarades

de Mario Monicelli



Italie-France-Yougoslavie, 1963, 2h10, VOSTF
avec Marcello Mastroianni, Bernard Blier

Les Camarades
Ce film est programmé dans le cadre du cycle des Grands Classiques 2019-2020 :
Images du collectif : survie, lutte et solidarité (livret PDF)

À la fin du XIXè siècle, des ouvriers italiens d’une filature de Turin s’organisent pour ne plus s’épuiser treize heures par jour à l’usine et obtenir de meilleures conditions de travail.
Après l’immense succès remporté par deux comédies grinçantes (Le Pigeon, 1958 et La Grande Guerre, 1959) puis le plus méconnu Larmes de joie (1960), Mario Monicelli se lance dans le tournage des Camarades. L’action située au XIXè, permet d’envisager la lutte d’émancipation à l’aune de l’émergence du socialisme, et surtout avant les révolutions russes. De longues recherches sont nécessaires à la préparation de ce nouveau film et le cinéaste collecte de très nombreux documents d’archive : photos d’époque, minutes de procès… Il s’entretient avec des vieux ouvriers de l’usine Fiat de Turin. Le matériau ainsi recueilli constituera une précieuse base de travail pour le chef opérateur, le célèbre Giuseppe Rotunno (qui a photographié Le Guépard et plusieurs films de Fellini) et les co-scénaristes, Age Incrocci, Furio Scarpelli et Monicelli. Le générique mélange ima-ges d’archives et photogrammes du film pour appuyer cette volonté d’authenticité, renforcée par l’image noir et blanc. Pour les tournages en extérieur et dans l’usine, l’équipe se déplace à Zagreb où la misère et les tristes conditions de vie d’une partie de la population se rapprochent de celle des protagonistes. À l’époque d’une abondante coproduction franco-italienne on retrouve sans surprise dans la distribution Bernard Blier, François Périer et Annie Girardot.

L’article défini du titre Les Camarades, en français comme en italien (I Compagni), annonce la façon dont le film va englober dans cette communauté tous les travailleurs, femmes, hommes, quelque soit leur point de vue sur la lutte et qu’ils soient de Turin ou non. On découvrira ainsi peu à peu la vie encore plus misérable de l’émigré du Mezzogiorno, le sud de l’Italie. Dans une articulation très minutieuse entre l’individu et le collectif, le film fait émerger plusieurs personnages dont on suivra la vie et les idées. De longs plans séquences saisissent la masse avec brio, découvrant ici ou là ceux et celles auxquels le film s’attache davantage. Ici les femmes ne sont pas en reste, elles assument le travail domestique ou sont employées à la filature, elles ont des opinions et le font savoir, jusqu’à préférer la prostitution à la misère. Monicelli ne tenait pas à mettre en avant le professeur Sinigaglia (Marcello Mastroianni dans l’un de ses plus beaux rôles) et c’est sans porter de jugement qu’il traite ce personnage d’intellectuel issu de la bourgeoisie dans son rapport ambigu aux ouvriers. Le professeur socialiste pose souvent les bonnes questions, même si elles sont dérangeantes, et aiguillonne la lutte sans devoir en assumer directement les conséquences, quoique… Lui aussi connaît la faim et doit sans cesse fuir la police à ses trousses.

Le film offre de longues séquences qui prennent le temps de la mise en place, des lieux, de l’atmosphère, des personnages. Le noir et blanc contrasté est toujours impeccable, la profondeur de champ et les amples mouvements d’appareil dans des plans séquences millimétrés plongent le spectateur au cœur du quotidien de ces hommes et femmes. Monicelli tient à conter leurs histoires personnelles et pas seulement une grève. On découvre ainsi des familles un peu bancales comme celle d’Omero qui malgré son jeune âge trime à l’usine pour rapporter son salaire, et veille à l’éducation de son cadet. On ne saura pas si le père a été victime d’un des fréquents accidents qui frappent les ouvriers à la fin de journées harassantes. Les ateliers où ils s’épuisent pour de maigres salaires sont filmés avec virtuosité et minutie, dépeignant la pénibilité des postes, le bruit, la chaleur ou le froid, la fatigue. Car l’usine est un lieu d’où il est impossible de s’échapper ; au sens propre, les ouvriers ne peuvent en franchir les grilles pendant la trop courte pause casse-croûte et au sens figuré, c’est elle qui rythme leur vie, étant le seul pourvoyeur de travail donc d’argent. S’il y a du Zola dans cette peinture sociale, Monicelli apporte des touches d’humour et de burlesque et évite tout discours didactique. La liesse des chants populaires et d’un accordéon rythmé procède en contrepoint aux images de dénuement et aux doutes. Et pourtant le spectateur le perçoit, le drame n’est pas loin. Comment pourrait-il en être autrement ?

Extrait du livret d"accompagnement 2019/2020 (Céline Soulodre, Guy Fillion)


 

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