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Ma' Rosa

de Brillante Mendoza



Philippines, 2016, 1h50, VOSTF
avec Jaclyn Jose, Julio Diaz, Felix Roco

Ce film est soutenu par le GNCR

Ma' Rosa
Ma' Rosa
Ma’Rosa a quatre enfants. Elle tient une petite épicerie dans un quartier pauvre de Manille où tout le monde la connaît et l’apprécie. Pour joindre les deux bouts, elle et son mari Nestor y revendent illégalement des narcotiques. Un jour ils sont arrêtés. Face à des policiers corrompus, les enfants de Rosa feront tout pour racheter la liberté de leurs parents.
 
- L’action se déroule sur quelques heures, pourquoi ce choix ?
- Parce qu’il est conforme à la vérité de la situation. La question du temps est très importante. Aux Philippines, si vous arrêtez un trafiquant de drogue en semaine, il va directement en prison. Si vous l’arrêtez un vendredi soir, comme les tribunaux sont fermés le week-end, il reste en garde à vue jusqu’au lundi, au commissariat. La police a donc tout intérêt à faire des rafles en fin de semaine : cela lui laisse 48 heures pour négocier et éventuellement remettre les trafiquants en liberté contre de l’argent. C’est exactement ce que raconte le film. Bien sûr, c’est la pauvreté qui déclenche la corruption : il faut se débrouiller, même au mépris de la loi et de la morale, pour survivre. Mais ce genre de corruption n’est pas propre aux Philippines, vous en trouverez partout dans le monde, à des échelles différentes. Ici, la corruption est voyante, mais il y aussi de la corruption dans les pays plus développés, à un plus haut niveau, que l’on ne connaît pas.

- Comment avez-vous trouvé votre style, cette apparence d’ultra-réalisme, qui s’affirme de film en film ?
- Comme vous le savez, je suis devenu réalisateur assez tard, vers 45 ans, après avoir travaillé notamment dans la publicité. Je n’ai pas fait d’école de cinéma. Mon désir est d’être le plus réaliste possible, que la frontière entre documentaire et fiction se brouille. Bien sûr,
Ma’ Rosa est une fiction : il y a des acteurs, des décors, un scénario structuré, mais la forme est celle d’un documentaire. Plus on sera près de la réalité, plus il y aura de vérité dans le film, mieux cela reflètera la vraie vie. La crédibilité des répliques, des costumes, des situations, doit être maximale. Bien sûr, c’est une approche qui peut choquer, il y a des spectateurs qui ne veulent pas voir la réalité, parce que le cinéma ne la montre pas si souvent. Mais le public de mes films est aventureux, il veut recevoir des nouvelles du monde.

- Plus concrètement, qu’apporte le fait de tourner en caméra portée ?
- La caméra à l’épaule montre l’instabilité de ces vies, leur urgence, leur situation de malaise permanent. C’est un monde où il faut vivre caché et où l’on vous épie en permanence, un monde où il faut se protéger. Je tourne avec trois caméras, je ne dis pas aux acteurs où elles seront. Je leur demande d’oublier tout ce qu’ils ont appris et de jouer le plus naturellement possible puisqu’ils vont aussi tourner avec des acteurs non-professionnels. En outre le scénario ne leur a jamais été donné. Il y a des dialogues écrits, mais je laisse les acteurs choisir leurs propres mots s’ils le désirent. Je précise la situation, s’il y a une réplique importante il faut la garder, mais pour tout ce qui est autour, ils sont libres. Du coup, je capture des moments, tout devient très spontané, action, situation, émotions... Le film a été tourné en respectant la chronologie de l’histoire afin que les comédiens puissent ressentir la détresse de leurs personnages. À l’arrivée, j’ai beaucoup de rushes et le montage devient une part très importante du processus : je dirais que l’écriture du scénario et la préparation logistique représentent 50% du travail créatif, le tournage, qui dure moins de quinze jours, 20%, et le montage, qui peut prendre plusieurs mois, les 30% restants du processus.

- Les acteurs apprécient-ils cette méthode ?
- Oui, parce qu’elle leur donne beaucoup de liberté pour explorer leur art et le personnage qu’ils doivent incarner. C’est une collaboration créative. Pendant la préparation, nous nous immergeons toujours, mon équipe technique et moi, dans le quartier où se passe l’action et où le film va être tourné, nous allons au contact de ses habitants, nous regardons comment ils vivent, etc. Cette fois, j’ai demandé aux comédiens de faire de même, pour mieux capter leur façon de se comporter, de parler. On a souvent déjeuné ou dîné avec des gens du quartier, ou bien on les invitait à nos côtés pendant la préparation. Plusieurs répliques sont nées de cette immersion.


Entretien avec Brillante Mendoza, GNCR